Le minifeste de la coinche

Les cartes virevoltent et atterrissent par groupe de deux ou trois en quatre paquets de huit, que chacun récupère d’un geste vif et nonchalant. Après un bref coup d'œil, tout le monde sait à quoi s’en tenir, mais on attend que Charles finisse son histoire pour lancer les annonces. J’étais en train de nager le papillon tranquille et elle m’a sauté dessus d’un coup comme ça, je n’ai rien pu faire. Passe. Je la comprends, un joli cœur comme toi… Quatre-vingt-dix cœur. Et elle était grosse comment, tu dis ? Cent pique. Comme ça, je te jure, au moins une bonne demi-pastèque ! Cent trente cœur, ça remonte de quarante, c’est osé. Ressers-moi un petit remontant tiens, tu veux ? Alexandre a un petit moment d’hésitation. Attends, refais voir ta morsure qu’on… César, en train de réagir à l’anecdote, s'interrompt, sentant l’excitation de son partenaire. Alors, ça capote ou bien ? Il se tient la tête en regardant fixement ses cartes. Réfléchis pas trop, vas-y à l’instinct ! Très bien. Alexandre tape du point sur la table. Coinché ! La manche va compter double, chacun reprend son jeu en main d’un air sérieux, en faisant semblant de se concentrer. Tu veux un glaçon avec ton pastis ? Alexandre a la main, il entame à trèfle. David prend de l’as, puis fait tomber les atouts. Tiens, regarde. Oula, ouais ! Elle t’a pas raté, la garce ! Belote et rebelote annoncées en face, mais il reste l’as troisième chez Alexandre, évidemment, sinon il n’aurait ni coinché, ni ce petit sourire en coin en tapotant son jeu sur la table. Ça pique salement, je te dis. David relance à pique faute d’appel. C’est pas plutôt une brûlure que ça fait ces bêtes-là ? Quelqu’un fait la passe, mais le dix lui passe sous le nez. Ouais, j’avais vu un reportage passer à la télé. Alexandre relance à carreau en espérant l’as de son partenaire, mais c’est Charles qui l’a, et il le joue cette fois-ci. Mais tu sers vraiment à rien à la fin, toi ! Et pourquoi tu me remontes pas au lieu de coincher aussi ?! Attends c’est pas fini. Charles joue son as de pique et se le fait couper, le dix était bien sec et en plus David doit pisser du sept. Et tu t’es vraiment pissé sur le bras ? Alexandre relance à trèfle de la dame, tout le monde défausse sauf Charles qui laisse le pli et garde son dix maître pour le dix de der. C’est le maître nageur qui m’a dit de faire ça. Charles attrape les plis de ses adversaires et commence à compter. Mais idiot ! Pourquoi t’as pas mis des points ?! Trois, sept, dix-sept… À mon avis, il s’est bien foutu de ta gueule …dix-neuf, trente, quarante-et-un… Si à la télé, ils disaient que c’est pour tuer le venin, je crois …quarante-cinq, quarante-cinq, quarante-neuf… Quarante-neuf ! Ah parce que ça pique, ça brûle et ça venine ces bestioles maintenant ? …quarante-neuf, quarante-neuf, quarante-neuf, cent treize… Oh avec le réchauffement climatique, on n’est plus sûr de rien. Cent treize, cent trente-trois avec la belote, c’est fait de trois ! Merde, tu lâchais ton dix et ils étaient dedans. Ça va, désolé, j’étais sur sa méduse et j’ai mal compté les trèfles. Allez, coupe va. Non attends, c’est à Alexandre à donner. Charles attrape une bonne moitié du paquet, qu’il décale vers son voisin de droite. D’ailleurs, devinez ce que j’ai trouvé dans mon jardin hier ! Alexandre rassemble les deux tas et se met à distribuer. Une cigale ventriloque ? Les cartes virevoltent et atterrissent par groupe de deux ou trois en quatre paquets de huit, que chacun récupère d’un geste vif et nonchalant.

Et ainsi s’enchaînent les tournées de coinche au fil des points, des manches et des revanches. Qu’on y joue pour le plaisir, pour la compétition ou pour passer le temps, on y retrouve toujours cet esprit vivant et convivial qui se partage avec trois compères autour d’une table. Il suffit de quelques parties pour avoir les règles en tête et d’arrêter de les compter pour que le jeu rentre dans la peau, et ainsi goûter à la magie de la coinche, où se mélangent le hasard, les histoires, les tactiques et les boutades, mais pas les cartes.