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Le pamphleste de l'effet placebo

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À sa naissance, un bébé est le centre de l’attention de ses parents, c’est-à-dire de l’ensemble du monde qu’il est alors en mesure de percevoir. Cela l’amène naturellement à se l’imaginer comme étant centré sur sa personne, jusqu’au moment où un événement particulier, comme la naissance d’un petit frère, vient contredire de manière irréfutable sa réalité narcissique. Il peut alors choisir entre remettre en question ses certitudes et élargir son champ de perception, ou bien conserver tant bien que mal sa conception du monde en colmatant la fuite de cohérence de son modèle par de la mauvaise foi, par exemple en appelant “effet nourrisson" le phénomène psychobiologique donnant à ses parents l’illusion que le nouveau né aie un quelconque intérêt.

effet placebo
Ce que l'on appelle "effet placebo" désigne-t-il le mystère auquel il est censé référer ou la cage nous empêchant d'en explorer la réalité ?

De manière générale, nous avons tous notre propre conception du monde, c’est-à-dire notre façon d’interpréter et d’agencer les perceptions que nous en avons eu. Cette conception repose sur des axiomes : des idées, des sensations et des émotions admises plus ou moins consciemment et qui ensemble forment un modèle, fruit de notre expérience de la vie et du courage que nous avons eu de la regarder en face. Mais aussi élaboré soit ce modèle, il reste basé sur des perceptions finies et limitées et est donc inévitablement partiel et incomplet, chose que la vie nous rappelle régulièrement par des événements et des sentiments inattendus et imprévisibles. Ces contre-exemple, ces désaccords flagrants entre la théorie et l’expérience amènent à chaque fois, par amour de la vérité ou ne serait-ce que par honnêteté intellectuelle, à discuter au moins l’un - si ce n’est chacun - de nos axiomes, ou au pire à prendre conscience de leur profonde imperfection. Mais il est ardu de remettre en question des principes établis, et bien plus aisé de cacher sous le tapis les témoins gênants. Il suffit par exemple de leur donner un nom, censé dans un premier temps permettre de s’y référer, mais qui va petit à petit prendre leur place de notre esprit, les emballer de sa sonorité, pour finalement donner l’illusion d’avoir résolu leur mystère alors que l’on a simplement pris l’habitude de ne plus les regarder et de les confondre avec leur étiquette. Ce n’est pas parce que l’on pense être capable d’identifier l'occurrence supposée d’une incompréhension ou d’une contradiction, nommée arbitrairement “effet machin” ou “effet truc” après la découverte de son mystère, que l’on a percé à jour l'énigme de son existence. Quelqu’un croyant dur comme fer que la Terre est plate et se rendant compte un jour que l’on peut en faire le tour dans tous les sens ne restituerait pas de crédibilité à sa théorie en appelant cela l’effet giratoire, même en se targuant avec orgueil d’être le premier à avoir identifié un tel phénomène, évident pour le reste du monde. Car s’il pense avoir mis le doigt sur quelque chose d’intéressant duquel personne d’autre n’avait imaginé avant lui tirer quelque gloire, ce n’est pas parce qu’il est en avance sur son temps, mais parce qu’il est carrément à l’ouest. C’est parce qu’il ne se rend pas compte, dans sa vision étroite et dégénérée du monde, à quel point l’observation de son “effet” a peu d’intérêt pour ceux ayant une vue un peu plus large sur les choses et connaissant la rondeur de la Terre, et à quel point il n’aurait pas même essayé d'écouter ces-derniers s’ils avaient tâché de lui en parler avant qu’il se décide lui-même à en revendiquer la glorieuse découverte. Même s’il est effectivement le premier à avoir nommé ce phénomène, il n’a évidemment rien découvert mais en a eu l’illusion, parce qu’il ne regarde de travers et en louchant qu’une petite partie du tout qu’il essaye d’appréhender tout en restant dans les limites qu’il a lui-même arbitrairement fixées au monde et desquelles il a peur de s’écarter malgré les signes évidents de leur absurdité, comme un chasseur proclamant avoir capturé un mammouth en ayant collé un post-it sur ce qu’il en a cru être le petit orteil, mais ne comprenant pas pourquoi son ventre gargouille le soir.

Il en va de même pour l’effet placebo. Si l’on considère que le corps et l’esprit sont deux entités distinctes et dissociables, contraintes à cohabiter et à collaborer au nom de leur survie commune suivant un rapport hiérarchique unilatéral où l’esprit commande et le corps exécute ; si l’on considère de plus que la conscience n’est rien de plus qu’une entité abstraite simulée par les savants engrenages du cerveau, guère plus vaste que l’esprit ne la perçoit et la raison ne l’analyse ; et si l’on considère enfin que tout phénomène inhabituel ne plaisant pas à l’esprit et impactant le corps en est un bug, un dysfonctionnement nuisible qu’il faut corriger par la force d’une intervention mécanique ou chimique, alors le concept étrange que l’on nomme “effet placebo" est plus qu’un “effet” étonnant, c’est un mystère inexplicable qui vient contredire jusqu’à la base même de cette interprétation du monde. Mais si l’on comprend que le corps et l’esprit sont liés et indissociables ; que l’esprit, la conscience et la raison font parties d’un tout mystérieux aux limites floues et potentiellement infinies qu’il n’y a pas lieu encore une fois d’emprisonner dans un nom, que ce soit “inconscient”, “âme” ou “destin” ; et que le corps exprime de manière parfaite l’état de santé profond de l’être, alors l’intérêt de parler et d’étudier ledit “effet placebo” s’évanouit subitement dans son évidence. Le corps et l’esprit ne faisant qu’un, tout ce qui impacte l’un impacte l’autre et inversement. Il n’est pas plus mystérieux qu’un état d’esprit impacte le corps qu’un état corporel impacte l’esprit. Ou plutôt, ces deux phénomènes sont tout aussi mystérieux, car n’oublions pas que ce n’est pas parce que nous avons l’habitude de les observer qu’ils n’en demeurent pas moins prodigieux, au même titre que notre existence. Mais que sont précisément le corps et l’esprit ? Ce ne sont que des mots que nous utilisons, faute de mieux, pour se référer à différents aspects de notre être, qui est bien plus vaste que ce que nous en percevons. Les limites du corps comme de l’esprit sont indéfinissables, de même qu’il n’existe aucune frontière dans notre bras à partir de laquelle une cellule n’appartiendrait plus à la main mais au poignet. Les deux n’en sont pas moins liés, interdépendants, et voués à vivre dans l’harmonie de leur unité ; et de cette harmonie découle la santé du tout. C’est même d’ailleurs rigoureusement la même chose. Le bras n’est en bonne santé qu’à condition que toutes ses parties le soient, et elles ne le sont que s’il est lui-même sain. Tout problème l’affectant se répercutera d’une manière ou d’une autre sur l’une d’entre elles, et par conséquent affectera l’équilibre les joignant. Ces considérations sont faites d’un point de vue corporel, mais s’appliquent à tous les niveaux et toutes les échelles de l’être. Du point de vue de l’esprit par exemple, quand nous ressentons une émotion, nous avons de nombreux moyens de l’exprimer. Sous le coup de la colère, nous pouvons par exemple exploser de rage, rester calme et froid ou encore nous isoler dans des raisonnements rationnels. Chaque individu réagit de manière unique en fonction de la situation, elle aussi unique. Ce qui ne change pas, c’est que nous vivons l’émotion, et nous l’exprimons. Pour la comprendre, il faut creuser plus en profondeur, derrière la superficie des faits ; il faut voir l’émotion derrière les actes, et peut-être la souffrance derrière l’émotion, et ainsi de suite, remonter dans la subtilité de l’être en s’éloignant des effets pour se rapprocher des causes. C’est un effort difficile, incertain, mais c’est le seul moyen de rétablir l’harmonie perdue à la suite d’une quelconque perturbation. L’être global exprime de la même manière ce qu’il vit dans ce qu’il est, parfois au niveau du corps, parfois au niveau de l’esprit, parfois dans les deux à la fois, parfois ailleurs. Quelqu’un qui ne vit pas en sa propre harmonie va inévitablement développer des symptômes physiques, psychologiques ou autres, liés à son déséquilibre. Ce n’est pas une maladie, c’est simplement une expression de son “mal-être”, ou plutôt de son être profond. Ce n’est pas un dysfonctionnement du corps, au contraire, c’est précisément parce que le corps fonctionne bien qu’il manifeste cette réalité intérieure. Libre à chacun d’en tenir compte, mais vouloir lutter contre ces signaux sans s’intéresser à leur origine est aussi stupide que de vouloir lutter contre une démangeaison en s’arrachant les mains. Et à l’inverse, si l’harmonie de l’être est suffisamment cultivée et entretenue, les problèmes particuliers se diluent et disparaissent d’eux-même au sein de l'unité globale, sous réserve évidemment que l’être dispose de suffisamment d’énergie vitale pour traiter les causes. Ce principe, l’unité de l’être, est universel et permet de considérer l’ensemble des détails dans leur globalité sans se perdre dans leur multiplicité. Il se retrouve partout, en toute circonstance à condition de l’intégrer dans l’infinie complexité et subtilité du monde, et de ne pas se laisser aveugler par l’apparente simplicité des interprétations rationnelles. Ces-dernières ne considèreront jamais un problème que d’un angle arbitraire et fini, donc faux et limité. Mais elles peuvent permettre d’appréhender grossièrement le mystère de certains phénomènes et accompagner l’intuition. Elles permettent, par exemple, de comprendre pourquoi quelqu’un d’anxieux a vu apparaître rides et cheveux blancs plus tôt que les autres. Pourquoi quelqu’un a guérit miraculeusement de ses crises d'eczéma en changeant de métier. Pourquoi quelqu’un qui pensait n’avoir aucune chance de lutter contre une infection bénigne l’a laissée le submerger et qu’à l’inverse, pourquoi quelqu’un qui se sentait en confiance pour telle ou telle raison s’en est bien mieux sorti. Mais ne vient-on pas à l’instant de formuler le principe de l’effet placebo sans nous en rendre compte, au milieu de ces exemples triviaux ? Donnez une arme soi-disant invincible - ou au moins prétendument performante - à un guerrier, et il vous étonnera par les merveilles qu’il accomplira sur le champ de bataille, d’autant plus fortement que sa foi en l’artefact sera forte. Que l’on appelle cela magie si l’armurier porte un masque, miracle s’il est en soutane, ou science si il est vêtu d’une blouse blanche, il n’y a pas lieu de sacraliser ce phénomène plus que le reste, c’est une évidence qu’il faut n’expliquer qu’à ceux qui l’ont oublié.

L’effet placebo (du latin placebō : « je plairais ») est, d’après l’une des définitions de l’expertise médicale, un phénomène psychobiologique survenant dans le cerveau du patient après l’administration d’une substance inerte accompagnée de suggestions verbales d’un bénéfice clinique et se traduisant par une amélioration de l’état du malade supérieure à l’effet thérapeutique prévu par les modèles biologiques. En tant que protocole expérimental dans le contexte de la médecine occidentale, il joue un rôle indéniable dans son fonctionnement. C’est un outil important de la recherche clinique qui corrige en partie le biais venant de l’hypothèse absurde et implicitement admise en science médicale que l’efficacité d’un médicament est indépendante de la bonne volonté du patient, dont le rôle, comme son nom ne l’indique qu’à moitié, n’est censé se réduire qu’à attendre et payer. On peut louer le fait que l’effet placebo soit pris en compte dans l’évaluation des performances des remèdes, mais cela n’est qu’une tentative vaine, paradoxale et incomplète d’expliquer l’écart entre la théorie et la pratique. L’existence même de l’effet placebo dans les esprits a pour but de compenser l’incohérence de l’axiome sous-jacent à l’idéologie médicale niant l’unité de l’être et donc en particulier la réalité de cet effet. Hélas, le monde étant infiniment plus complexe que nos capacités, il n’est pas complètement aberrant de n’en considérer qu’une partie réduite et simplifiée et de tenter de colmater les fuites par des pirouettes intellectuelles. Mais dans le cas de l’effet placebo, il ne faut pas oublier qu’il ne s’agit que d’un cas particulier de l’évidente unité de l’être appliquée à l’environnement artificiel et factice du laboratoire, dans lequel il est voué à rester. En dehors, il n’a aucun sens, ni aucune raison d’être. Il est même nuisible et prolifère, comme un virus spirituel, venant renforcer la maladie de la modernité qui pousse à tenter de réduire le fonctionnement du monde à celui des laboratoires, alors que leur raison d’être est, à l’inverse, de s’en approcher et de nous permettre d’en appréhender la complexité. L’unité de l’être est une évidence que l’humanité connaît et observe depuis la nuit des temps, que chaque individu se doit de comprendre, de redécouvrir et de s’approprier par lui-même, mais que la modernité, après avoir décidé de la nier, tente de réintroduire dans ses supermarchés à idées, au rayon médical, sous une forme simplifiée, emballée et dégénérée, sans saveur ni profondeur, donnant ainsi l’illusion de l’avoir presque maîtrisée et dominée alors qu’elle s’est contentée d’en créer une pâle copie au titre accrocheur et de la mettre en évidence dans sa vitrine mensongère.

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