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Le pamphleste du vélo électrique

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Un menteur qui ne fait que mentir dit malgré lui la vérité. Le vrai menteur n’agit pas ainsi. Peu lui importe le vrai ou le faux, ce qui l’intéresse, c’est le mélange des deux, c’est l’entrave à leur dissociation. La présence ou non de vérité lui est totalement indifférente, il cherche uniquement à la confondre avec l’illusion. De même, l’être maléfique ne semble jamais l’être, sinon on se détourne aisément de lui. Il ne cherche pas à faire le bien ou le mal mais à mélanger les deux, à les imbriquer l’un dans l’autre qu’ils semblent devenir inséparable. Son but est que du mal se fasse, peu importe comment, peu importe où et peu importe par qui. Il agit en amont, il prépare le terrain mais passe rarement à l’acte lui-même : il se contente d’embrouiller les consciences. Celui qui fait du mal, sans en être moins responsable, est victime de cette confusion ; il est un symptôme et non une cause. Il est accusé, à juste titre car il n’a pas su faire la part des choses et a généralement laissé sa souffrance l’aveugler ; mais sa condamnation morale est plus discutable, déjà parce que personne ne sait identifier avec précision le mal, mais surtout parce que le vrai coupable continue en toute impunité à préparer le méfait des autres. Telle est l’essence du maléfique, tuer la dualité et nourrir la confusion, gagner la confiance pour assassiner sournoisement et impunément, en se servant des braves gens et de leurs idéaux comme hommes de mains, sans rien précipiter, se contentant de nourrir l’aveuglement furtif qui les rend capables de commettre sans qu’ils s’en rendent compte les pires atrocités.

vélo électrique
Cette personne aurait sûrement moins besoin du vélo électrique si elle avait plus pédalé dans sa vie.

Le vélo est un moyen de locomotion dont l’usage se mérite par un effort musculaire modéré. L’énergie qui met en mouvement le cycliste est la même que celle qui lui permet de se déplacer et de respirer, c’est l’énergie de la vie. La moto, quant à elle, utilise comme énergie motrice la combustion du pétrole, issu principalement de la lente accumulation de cadavres de planctons. Ce qui véhicule le motard, c’est donc l’énergie de la mort. C’est un constat qui se retrouve d’ailleurs de manière flagrante dans l’esprit général animant les communautés respectives des adeptes de ces deux engins. Il n’y a pas de morale à y ajouter, la mort et la vie font parties de la dualité, ce sont comme deux facettes d’une même médaille qui s’alimentent mutuellement et ne pourraient exister l’une sans l’autre. Nous avons besoin de l’espace laissé par la mort de nos ancêtres pour exister, les plantes se nourrissent des fruits de nos entrailles, le corps ne fonctionne que par la mort régulière de ses cellules. Ces deux destriers mécaniques ne s’opposent pas, il sont simplement fondamentalement différents malgré leur apparente similarité. La différence est subtile et profonde, duale par essence, c’est la même qu’entre le haut et le bas. Même si elle n’est que rarement exprimée clairement, elle a le mérite d’être visible et évidente et ainsi personne n’est dupe quant à la signification profonde derrière l’utilisation de l’un ou l’autre de ces deux engins. Mais la distinction vie-mort est beaucoup moins claire dès que l’on s’amuse à mélanger les deux, et en particulier dès que l’on utilise un vélo électrique. Ce détail peut sembler anecdotique et purement symbolique, mais ses conséquences sont très loin de l’être. En l’utilisant, l’âme est confuse, elle ne sait plus qui de la vie ou de la mort la fait avancer, elle ne vit plus cette distinction si fondamentale, elle la désapprend même, commence à emmêler les deux et tombe petit à petit dans un entre-deux terrible, dans ce flou vide de sens et d’essence qu’est la survie, véritable tiédeur existentielle du genre de celles que Dieu vomit. Et c’est précisément cette ambivalence terrible, cet enchevêtrement de positif et de négatif, ce mélange trouble de vie et de mort, de confort et d’effort, d’utile et d’inutile qui rend le vélo électrique si maléfique.

Le vélo électrique n’aurait pas de raison d’exister s’il n’apportait pas quelques bienfaits à ses utilisateurs. Son moteur contribue de manière non négligeable à l’effort fourni sur le pédalier lors d’un trajet et permet de soulager le quotidien d’individus ayant des difficultés à pédaler ou contraints de se déplacer régulièrement sur de longues distance, réduisant leur tentation d’utiliser une voiture ou tout autre engin plus polluant. Il permet également de répandre l’usage de la pédale de bicyclette, dont on pourrait déplorer que l’attrait ne soit qu’accru par un enrobage de modernité, mais qui est toujours préférable à une pédale d'accélérateur. Cependant, il convient de noter qu’un vélo de bonne facture permet de pédaler avec une aisance qui n’a rien à envier à celle des utilisateurs du vélo électrique en passant les vitesses adaptées. Même en montée, l’effort reste similaire au prix d’une allure réduite, ce qui peut être frustrant mais permet de grimper la côte sans trop de peine en cinq minutes au lieu de deux. Ainsi dans une majorité de cas, l’avantage réel du vélo électrique n’est pas un avantage de possibilité ni même d’effort, mais de temps. En outre, si le vélo électrique pollue à moindre mesure - encore qu’il est difficile de mesurer précisément son impact environnemental ne devant être dissocié de la chaîne logistique nécessaire à sa fabrication et à son entretien, il ne faut pas oublier qu’il le fera toujours infiniment plus que le vélo, auquel il a malheureusement tendance à se substituer. Le vélo électrique offre ainsi, dans le contexte actuel, un compromis intéressant qui n’aide pas forcément à mieux dormir la nuit mais qui simplifie la vie et l’accès au confort à moindre coût. Du moins en apparence. Car ces avantages, c’est la face émergée de l’iceberg, c’est la fleur dépassant du marécage dans lequel il faut s’embourber pour en respirer le parfum, qui sent bon mais qui ne dédommage pas des effluves fétides de ses racines et de son environnement toxique. On ne profite de la bonne odeur du vélo électrique qu’à condition de fermer les yeux sur l’impact de ses origines et de ses conséquences, qui s’inscrivent dans un contexte où l’impatience est une convention indiscutable et où la pollution n’est pas considérée comme intolérable mais inévitable. Le temps que l’on “gagne” à vélo électrique est utilisé à gagner de l’argent pour pouvoir justement remplacer le vélo électrique cassé ou volé de l’an passé, beaucoup moins réparable et durable qu’un vélo analogique et surtout bien plus cher. Sa construction nécessite bien plus de main d’oeuvre, d’industrie et d’expertise, autant d’énergie qui pourrait être utilisée à des fins plus utiles que de réduire de quelques centimètre les auréoles du commercial obligé de s’habiller en costume pour vanter les mérites de son vélo révolutionnaire. Sans parler du coût social, de la division économique que cela implique, de la part croissante que prend la technique dans la vie humaine, de la complexité qu’elle accroît et qui finit par régir la finalité de nos vies, du confort superflu imposé par la société en même temps que le stress et la pression qu’il faut subir pour le mériter, de la déconnexion aux réalités simples et profondes de l’existence, de la déconnexion à la nature, de la déconnexion à son propre corps, l’absurdité de vouloir maintenant tout de suite le contrôle du plus tard, du fantasmes autodestructeur d’asservir l'univers, de le plier à ses désirs au prix de l’exploitation outrancière de ses ressources humaines et naturelles, et j’en passe. Dans le contexte où tous ces problèmes majeurs, profonds et vitaux sont présentés comme des axiomes qu’il convient de cacher et d’oublier, le vélo électrique est un élève modèle ; il agit comme le parfait écran de fumée auquel on attribue pour vertu les vérités qu’il voile. Il réussit d’ailleurs le prodige de les masquer toutes à la fois, en apportant un semblant de solution aux maux qu’il aggrave, comme un pansement sale appliqué sur une plaie infectée.

Pris dans toute la profondeur et la subtilité de son contexte, le vélo électrique est une mauvaise solution à un faux problème. Il n’est ni vraiment pratique, ni vraiment écologique, ni non plus vraiment efficace, et sa polyvalence laisse à désirer. C’est un gadget qui simplifie la vie à court terme en la complexifiant sur la durée. C’est un compromis remarquable, qui réussit l’exploit de cumuler tous les mauvais côtés des inspirations dont il est issu et d’en rajouter d’autres de son cru par dessus le marché. Pour des gains infimes de confort, il éloigne de l’essentiel, il avilit la conscience, il ramollit le corps. Pour des gains infimes d’impact environnemental, il nourrit l’hypocrisie du progrès, il retarde les prises de conscience et les réelles remises en question. Pour l’usage de quelques mamies pendant le court laps de temps entre le moment où elles ne peuvent plus pédaler sans assistance et celui où elles ne peuvent plus pédaler du tout, on légitime sa prolifération néfaste, alors que ce n’est pas du tout cette minorité qui en a le plus l’usage, et surtout que cette attention si charitable est loin d’être la motivation derrière l’engouement qu’il suscite. Mais le vélo électrique se barricade derrière cette justification bancale, ce mensonge fallacieux qu’il entretient, et qui est tout aussi hypocrite que de dire que les escalators sont construits pour les handicapés, alors qu’ils sont installés prioritairement en montée et que quiconque a fait l’expérience de la blessure sait à quel point il est alors plus compliqué de descendre des marches plutôt que d’en monter. Disons-le crûment, le vélo électrique existe avant tout pour ceux qui ont la flemme de pédaler ! La paresse n’est pas problématique en soi dès lors qu’elle est assumée et qu’elle se contente d’inhiber l’action sur le moment, en réponse à un contexte matériel et émotionnel. Mais la paresse derrière le vélo électrique n’est pas si pure, elle est comme dégénérée, issue d’un mélange de flemme et d’autre chose déconnectée de la nécessité et de l’instant présent. Elle ne répond pas à la perspective d’un effort immédiat, mais à la prévision d’un effort futur, qu’elle considère implicitement et automatiquement comme nuisible et indésirable. Elle ne peut pas être assumée, parce que cela empêcherait de fermer les yeux sur son absurdité ; elle vit pour elle-même, à nos dépens, comme une flamme vorace, consumant notre énergie pour alimenter le fantasme d’en dépenser moins plus tard. Mais l’effort (entre autre physique) n’est pas une nécessité désagréable de la vie, ni une conséquence fâcheuse de son fonctionnement, c’en est une composante essentielle, indissociable. La vie est un mouvement en constante ébullition. Elle est faite de haut et de bas et vouloir nier le relief qui l’anime revient à la nier elle-même. C’est pourtant ce à quoi participe avec zèle le vélo électrique en prétendant nous aider. Il apparente la côte au plat, le plat à la descente et leur parcours à une course truquée où chaque coup de pédale ne produit pas l’effet qu’il devrait. Le lien direct et vital entre l’effort et l’effet, entre le ressenti et l’action se trouve rompu. Le corps est dupé, déboussolé, et finit par se déconnecter de la réalité de ses capacités et de son fonctionnement en adoptant cette situation confortable comme nouveau repère, comme un suzerain piégé par les flatteries incessantes de ses ministres dans l’illusion d’une idolâtrie dont il finit par croire être légitimement l’objet. La réussite du trajet nous est imposée sans qu’on en sente l’adversité, si bien que l’on ressent un vide trouble à son accomplissement, comme un athlète dopé montant sur son podium, nourri d’une gloire honteuse, privé de la satisfaction profonde qu’il aurait pu avoir en faisant simplement de son mieux et qui est un des acteurs principaux du bonheur. En perdant l’expérience de cette satisfaction, on finit par l’oublier et, ne voyant plus d’attrait dans le moyen, on n’en cherche plus que dans la fin, ce qui conduit à rentrer dans un rapport de domination avec le monde basé sur la jouissance du triomphe factuel, si fugace, si addictive et si destructrice. Par l’apparente accessibilité que donne l’usage du vélo électrique au monde, il semble être affronté et dominé, ce qui conduit inévitablement à ressentir l’orgueil d’en être le légitime possesseur et par suite à s’en dégoûter et à être réduit, faute de mieux, à essayer d’en jouir sans état d’âme, comme d’une putain sur laquelle on se défoule en cherchant vainement à se décharger de la frustration, non pas de ne pas savoir ce qu’est une chatte, mais de ce qu’est une femme. Cette vanité terrible entretient un mal-être dévastateur, tant pour soi-même que pour son environnement. C’est là une réalité que nous enseigne et dont nous garde la confrontation avec le dénivelé par l’analogie profonde entre la route et la destinée, comme une sagesse accessible directement par la pédale dont nous prive la moto, mais que corrompt le vélo électrique par son ambivalence, nous faisant oublier à la fois la connaissance et notre ignorance. Il avilit l’effort, le dissociant et le cloisonnant de son aboutissant : le corps n’est plus cet allié précieux qui nous permet d’être et d’exister mais un fardeau embêtant, que l’on se doit d’entretenir tant que son usage nous est encore imposé. On court sur des planchers automatiques sans but et on roule sur des pédaliers électriques sans peine. Dans un cas la mécanique nous vole l’effort, dans l’autre sa finalité, et dans les deux le sens de l’action et les bénéfices que l’âme peut en avoir. Privée de ce lien essentiel, elle se dissocie du corps, qui ne semble n’être plus qu’une monture capricieuse dont l’entretien est un luxe superflu, un loisir accessoire, une lubie fantaisiste alors que son emploi est précisément notre trésor le plus précieux. C’est là l’évidence même mais ce n’est pourtant pas ce que nous susurre à l’oreille le vélo électrique quand il se substitue en secret à son usage. Si bien qu’il arrive à persuader de son utilité, voire même de son indispensabilité, lui dont l’humanité s’est passée pendant des millénaires, lui dont l’humanité se passerait encore si elle croyait encore en la vie. Mais comment percevoir autre chose qu’une pâle fadeur à un chemin dont le relief est aplati artificiellement ? Comment ne pas s’ennuyer d’une existence insipide où rien ne dépasse ? C’est pourtant vers cette lassitude que tend l’humanité en espérant échapper à sa condition, en confiant son salut aux miracles de la technique. Mais cette dernière est impuissante face aux problèmes existentiels, elle ne peut que les cacher et les laisser pourrir en secret hors de l’enclos dans lequel se confine petit à petit l’humanité par peur de les affronter. La technique, d’abord simple voile dissimulant l’angoissante réalité de leur croissance, prit petit à petit le rôle de rempart, puis de gardienne de cet ordre aberrant basé sur le déni. Elle est aujourd’hui devenue un véritable bourreau séquestrant l’humanité qui, bien au chaud dans sa cage d’illusion, lui voue malgré tout une fervente adoration par le mystérieux artifice du syndrome de Stockholm. Le vélo électrique n’est qu’une offrande supplémentaire de ce tortionnaire, censé adoucir les souffrances qu’il cause lui-même par son étreinte délétère. Loin de nous soulager, il nous plonge encore plus en avant dans ce cercle vicieux dévastateur.

Les tares du vélo électrique sont si nombreuses qu’il est impossible de toutes les lister. Tous les problèmes majeurs dont souffre l’âme humaine se retrouvent cachés dans son ombre, mais leurs conséquences concrètes sont si subtiles, si ambiguës et si bien cachées derrière ses maigres avantages qu’il est difficile de les identifier précisément, ce qui ne les empêchent pas de faire plus de ravages que bien des épouvantails. C’est cette ambivalence et l’impunité qui en découle qui rendent le vélo électrique si diabolique. Mais ne l’oublions pas, ce n’est qu’un outil. Seulement, rarement un outil a-t-il rendu avec autant de fidélité l’image du mal rongeant l’âme de ses créateurs. Il n’est pas maléfique en soi, mais la force qui nous pousse à en fabriquer l’est terriblement. Elle est terrifiante, effroyable, d’autant plus puissante et dangereuse qu’elle se présente humblement comme salvatrice, en se cachant derrière ses vertues illusoires. Elle est tapie dans nos coeurs mais c’est une ennemie de la Vie, qu’elle s’est jurée de détruire par une lente agonie. Elle y va petit à petit mais ne chôme pas et perpétue sans relâche ses agissements, sur lesquels il faut fermer les yeux très fort pour ne pas s’apercevoir qu’elle n’a jamais été aussi proche de son but.

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