Le stop est une merveilleuse façon de voyager. C’est même bien plus que cela, c’est une expérience humaine et spirituelle, c’est une aventure pleine de rencontres, de joies, de doutes, d’inattendu, de merveilles, d’enseignements, de galères et de surprises. C’est s’offrir à l’univers, tout en lui donnant l’occasion d’exprimer sa générosité infinie. C’est rencontrer la plus belle face de l’humanité, celle pour qui l’entraide et l’ouverture sont naturelles, celle qui se réjouit de rendre service, qui se nourrit de partager. C’est tout cela et bien plus encore, et surtout... c’est possible ! Cela peut sembler loin d’être évident, voire complétement farfelu avec tout ce qui se passe à la télé de nos jours, mais il suffit, pour s’en rendre compte, d’un peu de courage, de confiance, et surtout, de se donner la peine d’essayer. Et au travers de quelques galères plus ou moins riches en enseignement, on découvre alors rapidement les principes de base de la pratique, que ce petit texte a pour ambition d’offrir à ceux qui veulent en savoir un peu plus avant de se jeter dans la gueule du loup.
L’avantage pratique principal du stop, c’est qu’en plus d’être gratuit, il permet une flexibilité infinie : on va où on veut, quand on veut. Certes, on ne contrôle pas son heure d’arrivée, mais on arrive toujours bien assez tôt. Et pour les trajets mal desservis, il est souvent bien plus rapide que toute alternative. Il convient néanmoins de prévoir de la marge, et d’être prêt à renoncer à une partie de son emploi du temps le cas échéant. Certains pourraient voir ces débordements comme du temps perdu, mais c’est tout le contraire. Le temps passé à faire du stop est du temps vécu, intense. Une journée de stop est pleine de rencontres et de rebondissement, et souvent bien plus riche qu’une semaine entière de vacances. En y prenant goût, on s’habitue rapidement à renoncer à quelques heures de plus à destination pour profiter des merveilles d’un trajet en stop, qui reste avant tout un voyage vers l’incertain. Même avec beaucoup d’expérience, on éprouve toujours un petit pincement au cœur avant d’y aller, comme le trac des musiciens. C’est tout à fait normal, et même bon signe : c’est la marque inimitable de l’inconnu. Le stop, c’est l’aventure de la liberté, il ne peut par essence être rassurant. Il est toujours nouveau et enrichissant, et ne pourra jamais se réduire à une routine.
La première chose à savoir, c’est qu’il n’arrive (quasiment) jamais d’arriver à destination d’un seul coup. Un trajet en stop se fait par sauts de puce, plus ou moins gros, et peut comporter une à plusieurs dizaines de chauffeurs différents, c’est aussi ce qui fait la richesse de l’expérience. Et à chaque course, tout est à recommencer, d’un lieu inconnu ou presque, car il est bien évidemment naturel de convenir avec le dernier chauffeur, dans la mesure de sa disponibilité et de votre relation, d’un endroit judicieux pour continuer le voyage. Pour cela, le GPS et une certaine expérience de stop et de lecture des cartes routières sont fort utiles. Mais une fois sur place, il faut se repositionner dans un environnement inconnu et se confronter de nouveau à la méfiance des gens en attendant l’âme charitable du prochain chauffeur. Il faut donc savoir s’adapter à la situation, mais selon les cas, il y a essentiellement deux types de stop : le stop actif et le stop passif. Ces deux types se complètent, tant dans leur fonctionnement que dans leur utilisation, et se combinent naturellement au cours du trajet.
Le stop passif, c’est le stop classique, qui fait encore un peu partie de l’imaginaire collectif. C’est l’aventurier, chargé d’un sac à dos, posé au bord de la route le pouce en l’air, attendant qu’une âme charitable accepte de le conduire en direction de ses nouvelles aventures. Il est dit “passif”, car le stoppeur attend qu’une voiture décide de s’arrêter pour le prendre. C’est alors le conducteur du véhicule qui fait le choix actif de le prendre, le plus confortable pour lui étant de continuer anonymement sa route et feignant de ne pas l’avoir vu. Ce que le stoppeur peut faire, c’est seulement de simplifier la prise de décision du chauffeur, c’est-à-dire de se mettre à un bon spot. Un bon spot, c’est d’abord un endroit où les voitures qui passent vont dans la direction souhaitée, et où il y a de la place pour se garer facilement. Ces deux points sont les plus importants. Ensuite, plusieurs petits facteurs peuvent influencer sur la qualité du spot, par exemple une bonne visibilité, de l’ombre en été, un abri en hiver, vitesse des voitures modérée (typiquement éviter les zones d'accélérations), présence de nature, etc… mais ce ne sont là que des détails secondaires. Une fois le (bon) spot trouvé, il n’y a plus qu’à s’y installer, et attendre. L’attitude adoptée lors de l’attente n’aura que peu voire pas d’influence sur les conducteurs, à supposer évidemment que le stoppeur est visible. Il peut être tentant de faire de grands gestes, et de manifester son enthousiasme ; cela peut être utile pour préserver l’état d’esprit du stoppeur, mais pas plus. De même, utiliser une pancarte avec la destination ou direction est une mauvaise idée. D’une part, la porter est fastidieux à la longue, surtout s’il y a du vent, et d’autre part le choix du conducteur est toujours binaire, il choisit oui ou non de s’arrêter, le reste se détermine après. Il n’arrive jamais qu’un chauffeur se dise : “Je n’avais pas envie de m’arrêter mais comme on va au même endroit (quelle coïncidence !), je vais le faire”. La seule chose que peut faire le panneau c’est détourner les conducteurs du vrai choix (est-ce que j’aide ou non), occupé qu’ils sont de le lire, et décourager ceux qui auraient pu aider sans pour autant aller jusqu’à la destination finale. Ce qui ne faut en aucun cas oublier durant l’attente, c’est que si quelqu’un ne s’arrête pas, c’est avant tout parce qu’il ne veut/peut pas, et inversement, si quelqu’un a décidé de s’arrêter, il le fera, quoiqu’il arrive. Seulement, plus c’est compliqué pour lui, et moins il sera enclin à le décider, mais cela reste un choix libre et conscient de sa part, sur lequel le stoppeur n’a aucun contrôle. C’est pourquoi le bon spot ne fait pas tout. Il est possible d’attendre des heures sur un super spot, et d’être pris tout de suite dans un spot affreux. On ne sait jamais, il n’y a au fond aucune règle, le stoppeur est avant tout un jouet entre les mains du destin.
Le stop actif se pratique dans les zones où le stoppeur peut atteindre et communiquer avec les conducteurs. En particulier au feu rouge ou dans les relais et stations services. Le stop actif est particulièrement adapté aux longues distances quand il est pratiqué sur les aires d’autoroutes. Dans ce cas, c’est le stoppeur qui va “activement” vers les conducteurs et leur demande poliment de leur offrir sa compagnie. Il convient dans ce cas d’avoir une phrase d'accroche déjà prête. Personnellement, j’utilise toujours la même, simple et efficace : “Bonjour, je vais vers XXX (première grande ville sur mon itinéraire), est-ce que vous voulez bien me prendre en stop ?”. Dans ce cas, le refus du chauffeur n’est plus passif, il est confronté directement à lui-même dans l’interaction, et devra être actif dans son refus s’il est en capacité de rendre service. Le grand avantage du stop actif, c’est que beaucoup de personnes qui ne se seraient jamais arrêtées d’elles-même en situation de stop passif, peuvent accepter la course grâce à l’assurance de la proximité de ce premier contact. Deux points importants à prendre en compte néanmoins. Premièrement, une chose ne change pas, le choix des conducteurs est un choix libre et conscient. Si ce-dernier refuse, même en mentant de manière évidente ou après une longue hésitation, il est inutile de vouloir insister. Il faut l’accepter poliment, même si c’est difficile quand on attend depuis longtemps. Cela ne pourra que l'encourager à réfléchir et potentiellement prendre le prochain stoppeur sur sa route au lieu de le braquer, ce qui affectera l’humeur et desservira le stop dans son ensemble. Deuxièmement, il peut être tentant de “sélectionner” les personnes interrogées sur la base de quelques préjugés visuels. Il ne faut surtout pas s’y fier, et interroger tout le monde, sans exception. D’une part parce que cela rend plus simple la démarche et évite de se prendre la tête dans la fameuse sélection, mais surtout parce que vous serez surprise de voir à quel point ils se trompent souvent. En fait, l’aspect visuel n’est pas une information pertinente pour savoir si la personne va vouloir rendre service ou non. C’est une évidence, mais on peut vite l’oublier quand on commence à vouloir “maximiser” ses chances.
Mais que ce soit en stop actif ou passif, le plus important est de gérer son état émotionnel, et de maintenir le lâcher prise et la bonne humeur qui l’accompagne, et ne pas oublier que les deux sont liés. Le fait même de décider de faire du stop amène naturellement à abandonner le contrôle, et donc à rentrer dans un état de paix et de joie intérieure, allant parfois même jusqu’à l’euphorie. Mais dans les moments difficiles, quand le voyage et l’attente se prolongent, cette bonne humeur initiale peut s’amoindrir petit à petit, et laisser place au doute, à l’aigreur et au désespoir, ce qui donne envie, par réaction naturelle, de reprendre le contrôle. C’est un vrai danger, car c’est quand le stop se veut efficace qu’il devient une torture. Il y est par essence impossible de maîtriser le cours des événements et toute action allant en ce sens, en plus d’être inutile, génère de la souffrance. Quand cela arrive, et cela ne manque pas d’arriver, il faut se souvenir que c’est ainsi. Si une personne ne s’arrête pas, c’est qu’elle laisse la place à la bonne personne, celle que vous êtes voué à rencontrer. Si les voies du seigneur sont impénétrables, elles sont aussi inévitables ; inutile de se battre contre le destin, car ce combat en fait lui-même partie. Même si c’est la dernière chose qu’il vous reste, il faut garder l’attention sur cette vérité, qui sera votre meilleure alliée dans les attentes difficiles, jusqu’à ce que quelqu’un ou quelque chose vous vienne en aide, ce qui ne manquera pas non plus d’arriver, d’une manière ou d’une autre. Cela ne veut pas dire qu’il faille s’obstiner dans ses choix. Parfois, il faut savoir changer son fusil d’épaule et abandonner un spot prometteur mais infructueux, parfois non. Tout dépend du feeling et du contexte. Ce qui compte, avant tout, c’est l’intuition. Si elle vous guide vers des horizons incertains, si quelque chose en vous vous pousse dans une direction qui semble contre-productive, c’est bon signe. Jamais l’adage “aux innocents les mains pleines” n’est aussi vrai qu’en stop, où il faut avant tout se méfier de l’objectivité et de l’optimisation. Faites comme bon vous semble, et restez ouvert sur ce qui ne vous le semble pas encore.
Après quelques trajets en stop, un certain savoir peut sembler se dégager des ces expériences. En général, le plus dur et fastidieux, c’est de sortir des grandes villes. D’une part parce qu’il n’y a souvent pas de bon spot, mais surtout parce que les gens ne sont pas dans une mentalité adaptée. Ils se sentent souvent tendus, oppressés, mal à l’aise, et ainsi n’ont pas l’espace et le calme mental nécessaire à l’ouverture et la confiance. En ville, le principal danger vient de l’Homme alors qu’en campagne, la principal sécurité vient de l’Homme. C’est pourquoi dans le stoppeur confirmé est bien plus serein perdu au milieu de la savane qu’à traîner aux portes de la civilisation. Il est ainsi souvent judicieux de sortir des villes en transport en commun et de commencer le stop à l’extérieur, idéalement à une aire d’autoroute pour les longues distances. L’abondance de voitures dessert aussi souvent le stoppeur, car cela déresponsabilise les conducteurs qui inconsciemment se diront que s’il ne s’arrête pas, quelqu’un d’autre le fera, et Dieu sait à quel point ce raisonnement conduit à l’inaction collective. On peut aussi observer grossièrement des esprits de région. Certaines régions, certaines périodes sont plus propices que d’autres. En montagne, par exemple, le stop fonctionne souvent très bien. Mais ce ne sont là que des tendances, qui ravissent les amateurs de statistiques mais n’intéressent que peu les hommes de terrain. Justement, faire du stop, c’est transcender les statistiques, c’est vivre ce qu’elles ne peuvent pas prévoir. Il suffit d’une seule voiture, d’une seule personne, d’un petit détail, d’un tout petit oui, pour tout changer. Et quelque soit l’endroit, quelque soit la situation, il y a toujours des gens qui ont du coeur, et qui s’arrêteront quoiqu’il arrive. Ils forment, sans se connaître, une sorte de société secrète et on les reconnaît tout de suite dès qu’on leur donne l’occasion de se rendre utiles.
Enfin, quelques derniers petits détails pratiques pour la route. Concernant la sécurité, chacun a son propre rapport à la chose, je me bornerai à dire que l’intuition me semble encore une fois le meilleur guide pour affronter son destin, et qu’il ne faut pas oublier que les choses ne sont jamais comme on ne le croit, et encore moins comme on veut nous le faire croire. Contrairement à ce que pense encore l'imaginaire collectif, les camionneurs ne prennent quasiment plus, essentiellement parce que cela leur est maintenant interdit par les assurances. De même pour les voitures de fonction même si, heureusement, certaines personnes ne sont toujours pas esclaves des règles préventives et suivent encore leur cœur. En France, il est permis partout sauf au niveau des bornes de paiement des péages. C’est pourquoi ces derniers sont plutôt à éviter ; le stop est toujours possible et parfois fructueux avant ou après, mais on n’est jamais à l’abri d’un gardien zélé. Attention également, certaines personnes confondent péages et aires d’autoroutes, ce qui en réalité est très différent du point de vue du stoppeur. Pour le stop à l’étranger, il peut être utile de se renseigner avant sur les spécificités du pays. Par exemple, le stop est intégralement illégal en Espagne et il est très démocratisé mais payant en Europe de l’est. Mais, encore une fois, les précautions sont superflues voire à bannir si l’on a un bon feeling. Si ce n’est pas le cas, vous trouverez votre bonheur sur hitchwiki , un portail collaboratif où les stoppeurs du monde entier partagent leurs expériences et bon spots. Car si vous vous sentez un jour abandonné sur le bord de la route, rassurez-vous, vous n’êtes pas seul !