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Le manifeste du manifeste

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Manger est un besoin vital du corps, et pour certains également de l’humeur, même si chacun a sa propre manière de se rassasier en fonction de ses goûts, son expérience et des conseils plus ou moins avisés qu’il a bien voulu écouter. C’est là une évidence que la perception de la faim nous enseigne, avec souvent un peu trop de zèle. N’étant pas limités à l’aspect mécanique de notre corps, nous ressentons tout un tas d’autres nécessités moins immédiates et plus subtiles, comme par exemple la reconnaissance, l’affection ou encore l'enracinement et que nous appellerons les besoins de l’âme. Ces-derniers sont tout aussi évidents à l’être que la faim par la sensation d’un mal-être, moins immédiat et plus subtil, qui accompagne toute carence. La conscience claire de ces besoins est délicate, mais ils sont bien présents à tous, et il y a autant de façon de les assouvir qu’il y a de recettes de cuisines et de façon de les savourer.

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Cette image, placée là pour des raisons en apparence incompréhensibles, a pour but d'aider à comprendre qu'il n'est pas aisé de comprendre, et que l'on n'est jamais sûr d'avoir pleinement compris, quand bien même un sens vague émergerait d'une explication.

Qu’une personne, en toute âme et conscience, s’intéresse à une pratique et y dédie une partie de sa vie et de sa liberté, c’est qu’elle y trouve une richesse suffisante pour satisfaire à un ou plusieurs des nombreux besoins de l’âme. Que cela l’éclaire sur l’existence, la confronte à elle-même, lui procure de la joie, la libère du quotidien ou lui fournisse toute autre forme de soulagement, elle puise dans cette pratique, à travers son engagement, une richesse qu’elle a su déceler et en abreuve son âme. Et quoi que disent les préjugés, la morale ou les coutumes de la valeur de cette richesse, si cette personne l’y trouve, c’est qu’elle y est, quand bien même serait-elle la seule personne au monde à la voir, et à d’autant plus forte raison que cette vision est engagée et partagée. Et si elle y est, c’est que chacun peut potentiellement en bénéficier et l’intégrer au régime de son âme, à condition de trouver où se cache ce trésor perdu au milieu de la jungle des apparences. Parfois, on le repère du premier coup d’œil même si la plupart du temps cela demande beaucoup d’effort et d’assiduité. Souvent, on pense l’avoir trouvé, alors qu’on en aperçoit à peine l’antichambre, mais il n’est jamais là où on l’attend ; il faut, pour avoir une chance de le repérer, avancer le cœur ouvert et confiant, car il n’y a pire obstacle à cette entreprise que le jugement, qui prétend être à l’image du trésor et par conséquent nous empêche de le reconnaître, quand bien même on serait assis dessus. Le jugement peut être tenace et il faut, pour le désamorcer, faire l’expérience de son absurdité. Seul le hasard de la vie sait nous y confronter, plus ou moins subtilement, et c’est en lui faisant confiance que l’on peut espérer accéder un jour à l’inestimable trésor de la compréhension, et par suite à l’amour.

Comprendre quelque chose que l’on méconnaît est un effort similaire à celui d’apprécier un aliment que l’on n'aime pas. On peut très bien vivre sans mais, à choisir, mieux vaut aimer que déprécier, et tout mal naît de l’incompréhension. Dans les deux cas, on ne trouve pas ce que l’on recherche, et cela nous fait croire que l’on nous cache ce que l’on nous dévoile. On perçoit la chose à travers le filtre de l’habitude, qui déforme notre vision de cette contrée nouvelle et inconnue. Une marche prend des allures de mur infranchissable, une trappe des allures de crevasse, si bien que l’on se sent à l’étroit dans ce monde que l’on regarde de travers. A cela se rajoutent les blocages personnels dont chacun souffre, issues de traumatismes, de préjugés ou d’autres drames du destin. S’affranchir de ce labyrinthe imaginaire demande un effort considérable que chacun doit fournir pour lui-même, car personne ne peut ni le faire à sa place, ni le forcer à le faire. On ne peut donner qu’un aperçu, qu’une idée de ce que l’autre ne voit pas, et éventuellement l’envie de regarder. On ne peut pas indiquer le chemin jusqu’au trésor, car on ne sait pas d’où l’autre part, mais on peut le décrire avec passion, pour l’aider à le reconnaître quand il le verra et lui donner le courage et l’envie de traverser la jungle qui l’entoure. C’est là une tâche noble, délicate et audacieuse ; et c’est précisément cette tâche à laquelle se destine, à sa façon, le manifeste.

Le manifeste a pour rôle de révéler aussi fidèlement que possible le trésor caché au cœur de la pratique qu’il expose. Évitant les détails, il va directement à l’essentiel de la fleur d’un sujet. Tel une abeille, il fait profiter des merveilles de son pollen au monde, ignorant sciemment la beauté des pétales qu’il admire mais qui ne seraient qu’un obstacle à sa mission. Il vient en émissaire proposer un échantillon de ce qu’il a butiné et offre, à qui veut le prendre, l'émerveillement qu’il a ressenti en le faisant. Le manifeste ne prétend pas être ni dire la Vérité, seulement donner un aperçu de celle dont il aspire à être le messager, esquissant, par le fond qu’il clame et la forme qu’il prend, l’image la plus juste possible de ce modèle invisible. Il ne se prend pas au sérieux mais feint de l’être, pour exprimer la puissance et la profondeur de ce qu’il imite et le transcende. Il n'est pas féroce mais peut sembler l'être car il tient solidement ses positions ; et s’il offense, c’est bien malgré lui, comme une bourrasque d’air chaud qui réchauffe tendrement mais dont le contact peut être rendu désagréable par l’évaporation des dernières gouttes d’incompréhension, voire frigide par la carapace qu’elles forment en grand nombre.

Un manifeste n’est pas une manifestation, il n’oppose pas, il embrasse. C’est par l’affirmation qu’il nie et non pas par la négation qu’il affirme. Un manifeste émane d’un amour, d’une confrontation, d’une expérience directe. Il est extrême par sa pureté, touchant par son ardeur, humble par son audace et solide par son unité. Il ne veut ni ne doit convaincre, il éclaire. Il ne démontre pas, car il ne puise son inspiration ailleurs que dans la Vérité profonde et subjective. Il ne cherche pas à séduire et n’hésite pas à bousculer car il aime prendre de la place. Il proclame sa vision avec une force et une confiance qu’il puise de la conscience de son imperfection. Si parfois il exagère, c’est à cause de la frustration de ne pas en dire assez, et si souvent il a du culot, c’est parce qu’il n’en a pas assez pour vouloir le masquer ; mais en aucun cas il ne dévie de la bienveillance immodérée qui le caractérise. Fidèle à ses convictions, il préfère être traîné dans la boue plutôt que de modérer sa passion, il préfère être tu à jamais plutôt que de calmer son aplomb. Il surprend par l’alliance inhabituelle de la fermeté et de la profondeur, par sa subtilité brute, sa sagesse vivifiante. C’est une caresse virile, un juste-milieu extrême, une nuance sans compromis. Il transmet directement le nectar, l’essence du sujet sans en donner la structure, avec d’autant plus d’ardeur qu’il sait que ce qu’il énonce n’en restera pas moins terriblement fade face à la réalité.

Tout chemin commence et s’entretient à l’évocation de son arrivée, mais ne se réalise que par la somme des milliers de pas aveugles le composant. Le manifeste vise l’horizon, il n’a rien d’une foulée, ça n’est qu’un panneau de plus orienté vers la longue route de la compréhension, que seule l’expérience peut parcourir. Il ne prétend aucunement la remplacer, car c’est le seul moyen d’appréhender la réalité dans toute sa subtilité et sa profondeur, dans tous ses paradoxes et ambivalences. Il souhaite simplement donner, en plus de sa direction, une petite impulsion vers l’envie d’essayer, un peu de ce carburant du véhicule de l’amour qu’est la curiosité, un peu de son essence qu’est la confiance. Et s'il contribue à une quelconque avancée, si infime soit-elle, sur ce chemin alors il aura accompli son rôle, il aura rendu l’hommage voulu à cette pratique qui, au fil du parcours, prendra peu à peu la teinte d’une évidence subtile, forte et belle à la fois, d’une évidence éclatante ; d’une évidence manifeste.

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